actu
ACFV Consultant est un Cabinet d’Audit, de Conseil et de Formation en matière de Sécurité et de Prévention des risques au travail.

Harcèlement au travail : jusqu’où l’entreprise peut-elle faire justice ?

 

Comment réagir si un collaborateur vous signale des faits de harcèlement moral ou sexuel ?

Un collaborateur vous confie qu’il se fait harceler par un collègue. Stupéfait et choqué, vous vous demandez comment réagir : quelle réponse apporter à la victime présumée ? Comment en parler à son manager ? A l’auteur des faits ? Comment trouver une solution sans se substituer au travail de la justice ?

Gilles Riou, psychologue et fondateur du cabinet Egidio, et Thomas Xantippe, secrétaire général des Assises du social, ont répondu à ces questions lors d’un webinar.

Une responsabilité de sécurité de l’employeur

« Lorsqu’un employeur a connaissance d’une situation de harcèlement au sein de son entreprise, il doit répondre à cette plainte, au nom de son obligation de sécurité et de sa responsabilité sociétale », explique Thomas Xantippe. L’article L4121-1 du Code du travail précise que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

« D’une certaine manière, l’employeur est appelé à être un premier juge dans l’entreprise. Son enjeu premier est d’établir les faits, c’est-à-dire faire la lumière sur leur matérialité », poursuit Thomas Xiantippe.

Harcèlement au travail : 5 idées reçues à dépasser pour y remédier
À lire également

Harcèlement au travail : 5 idées reçues à dépasser pour y remédier

Pour cela, l’entreprise peut diligenter une enquête auprès d’un cabinet indépendant, qui recueillera des témoignages auprès de différents collaborateurs pour faire émerger les causes qui ont conduit à cette situation. « Avant de se lancer, il faut prendre certaines précautions, avance Gilles Riou. Et notamment s’assurer de la crédibilité du dispositif. La première question qu’on pose à un juge, c’est : ‘’puis-je avoir confiance en vous ?’’. Si la méthode d’enquête est contestée par l’une ou l’autre des parties, c’est peine perdue ! Il faut opter pour un dispositif transparent, accessible, cohérent et rapide. »

Il faut également se garder de choisir un cabinet connu pour ses positions militantes : « Son idéologie pourra alors le faire passer à côté de l’intérêt de la victime », avance Thomas Xantippe, qui rappelle qu’une « enquête saine est à charge et à décharge. Est-ce dans l’intérêt de l’entreprise de verser dans un procès idéologique, qui va à l’encontre des principes généraux du droit à un procès équitable ? »

L’entreprise peut également mettre en place des actions de prévention pour éviter que des faits analogues ne se reproduisent. Comme l’a décidé France Télévisions avec la création d’une ligne directe harcèlement, à laquelle a présidé Thomas Xantippe : « A la suite de signalement de faits de harcèlement, un collectif de femmes, qui se réunissaient régulièrement pour parler de mixité, a proposé d’instaurer une ligne anti-harcèlement. La direction de la QVT a pris en main ce sujet et a identifié des référents, des figures de proximité (RH, managers, opérationnels…), à qui s’ouvrir en cas de harcèlement moral ou sexuel. Le but de cette ligne directe est d’orienter les victimes présumées vers des psychologues et de mettre au courant les managers et les RH. Pour prendre ensuite éventuellement les sanctions qui s’imposent. Le dispositif a rapidement gagné la confiance de tous les collaborateurs parce qu’il est venu du terrain ! »

Pourquoi c’est important que l’entreprise réagisse

Les coûts de l’inaction sont bien plus élevés que ceux de l’action, qu’il s’agisse de la santé psychologique de la victime, du maintien du fonctionnement de l’entreprise ou de la réputation de celle-ci.

« Les victimes dénoncent les actes au moment où elles ne peuvent plus supporter la situation de harcèlement, rappelle Gilles Riou. Pour elles, c’est déjà très coûteux, psychologiquement, de demander une enquête interne, mais c’est encore plus coûteux d’intenter un procès devant les tribunaux. »

L’employeur est donc un premier recours, un interlocuteur immédiatement accessible, et qui peut agir avec plus de réactivité que la justice : « L’entreprise dispose de moyens importants pour diligenter une enquête, en termes de délais et de finances. Ce qui n’est pas le cas de la justice. Or, quand on sort du silence, la vulnérabilité est accrue, et la durée d’autant plus difficile à supporter : attendre 3 mois, 6 mois, est intenable. Une réponse rapide de l’employeur permet de soulager, dans une certaine mesure, ce mal-être. »

Les faits de harcèlement peuvent être le symptôme d’un dysfonctionnement profond qui peut entraver la bonne marche de l’entreprise : « Du point de vue de l’employeur, la compréhension des causes est vitale, explique le psychologue. Pas mal d’entreprises ont du mal à entendre qu’il y a des dysfonctionnements structurels qui ont favorisé l’émergence du harcèlement, elles doivent pourtant se poser cette question. »

« Les salariés choisissent d’engager une action au pénal quand ils estiment qu’ils n’ont pas pu faire valoir leurs droits dans leur entreprise. »

En témoigne l’exemple de cette entreprise qui embauche des intérimaires pour n’en garder ensuite que 3 sur 10 sur des postes permanents : « Les intérimaires se livrent une lutte sans merci pour avoir l’un des 3 postes. Et les salariés en poste abusent de cette situation pour harceler ces personnes en situation de précarité. L’employeur dit que cette méthode de recrutement fait partie de leur système et entretient une culture du conflit dans son entreprise. Or, si ce conflit n’est pas traité, on bascule dans la violence », constate Gilles Riou.

Enfin, lorsque de telles situations se font jour, c’est aussi la réputation de l’entreprise qui est mise en jeu : « Si l’entreprise mène une enquête interne, elle pourra le faire en catimini pour éviter d’écorner son image. En revanche, si l’affaire est portée devant les tribunaux, elle est sur la place publique, car nous sommes en démocratie », souligne Thomas Xantippe.

Pour autant, une fois les faits établis, les dispositifs de prévention et d’alerte activés et les éventuelles sanctions prises (jusqu’au licenciement), l’entreprise ne doit pas se substituer au travail de la justice : « Une réponse entendable pour une victime de la part de son employeur est : voilà les actions que nous allons engager parce que cela relève de notre responsabilité, et voilà ce qui n’en relève pas mais sur quoi nous pouvons vous accompagner dans une action au pénal ou au civil », souligne le psychologue.

L’entreprise n’est pas un tribunal

« Les salariés choisissent d’engager une action au pénal quand ils estiment qu’ils n’ont pas pu faire valoir leurs droits dans leur entreprise, soit parce qu’il n’y a pas eu d’enquête, soit parce qu’ils estiment que celle-ci a été mal faite, ou bien encore parce que les faits sont d’une extrême gravité », liste la fondateur d’Egidio.

Les enquêtes de police peuvent ensuite aller plus loin que celle menée par un cabinet : les enquêteurs sont, par exemple, habilités à faire des requêtes auprès d’un opérateur téléphonique pour récupérer des fadettes ou des messages.

Quant aux éléments d’enquête interne menée par un cabinet, « lorsqu’ils sont pris en main par le juge pénal, ils sont un élément parmi d’autres, décrypte Thomas Xantippe. Cette enquête est assimilée à une preuve qui fait partie du faisceau mais le juge ne va pas la fétichiser, elle reste une donnée relative. Le juge est ensuite souverain : il a tous les moyens pour mener une contre-enquête et confronter la matérialité des faits à celle qui ressort de l’enquête demandée par l’employeur. »

« L’entreprise est donc un espace de justice relatif. C’est essentiel que l’employeur ne reste pas silencieux face à ces situations de détresse. Mais, in fine, c’est le juge et non l’employeur qui dit la loi », conclut Thomas Xantippe.

 

Ref : https://www.helloworkplace.fr/harcelement-travail-justice-entreprise/